Conclusion

Quasiment absentes au IIIe millénaire, les lampes se multiplient en même temps qu’émergent, en Crète, de premiers palais, autour de 1900 av.n.è. (fig. 13). Leur production est notamment dynamisée par les liens étroits qu’entretiennent les artisans avec les administrations palatiales ; les premiers reçoivent des secondes la matière première nécessaire à leur production et fournissent, en retour, des produits finis. Elle est également stimulée par des innovations technologiques à la fin du IIIe et au début du IIe millénaire, à savoir l’émergence et la diffusion du tour de potier1 ainsi que des forets à mèches pleines et tubulaires pour la confection de vases en pierre2 : acquérant un haut degré de spécialisation et de nouveaux savoir-faire, les artisans fabriquent en série des formes relativement standardisées. C’est, enfin – on peut l’imaginer – sous l’effet d’une demande nouvelle que se développent les lampes ; une demande qui répond à la nécessité d’éclairer des agglomérations plus denses et plus étendues qu’au IIIe millénaire.

Se mettent alors en place des productions locales qui font des lampes de puissants marqueurs chronologiques et culturels. Certains types, comme les types 4 bis et 5 par exemple, sont exclusivement protopalatiaux. Il en est de même des cônes – dont la fonction d’éteignoirs reste néanmoins à démontrer. D’autres, ne se trouvent que dans certains sites : ainsi des types 6 et 9 qui n’existent qu’à Malia, ou encore du type 7, spécifique à Palaikastro. Le type 3 constitue la forme la plus répandue jusqu’à la fin de l’époque néopalatiale. A côté des lampes en pierre, il est d’ailleurs l’un des marqueurs de l’influence minoenne en Méditerranée orientale ; on trouve en effet des lampes de ce type jusque sur le continent, dans les Cyclades et sur la côte anatolienne3. Mais il présente en même temps une importante variabilité régionale qui mérite d’être soulignée : les sous-types 3 quinquies et sexies, par exemple, n’existent qu’à Palaikastro tandis que le sous-type 3 ter n’est pour l’instant connu qu’à Malia.

En dépit de cette variabilité locale, certaines tendances sont perceptibles d’un site à l’autre. Au niveau morphologique, le type 10 se révèle utilisé dans de nombreux sites d’époque protopalatiale, de la Messara à Cnossos et de Malia à Palaikastro. Les lampes sont faites dans des pâtes grossières ou semi-grossières, ont une couleur foncée rouge, rose ou brune et son volontiers polies ou couvertes d’un engobe poli. De telles caractéristiques se retrouvent, par exemple, à Myrtos Pyrgos4 et à Cnossos5 au MM II, signe de traditions potières partagées.

Dans le registre des techniques, ensuite, la plupart des lampes en terre cuite semble avoir été ébauchée par colombinage et mise en forme avec énergie cinétique rotative6, l’ajout éventuel d’un pied et d’éléments de préhension s’effectuant dans un second temps. Les techniques de façonnage des becs ou des échancrures est sensiblement la même d’un site à l’autre : elle est réalisée par pincement-étirement du bec (becs ronds étirés, becs larges), par modelage (becs droits tronqués et triangulaires) ou par simple ajout d’argile de part et d’autre de la zone destinée à recevoir la mèche (échancrures). La longueur, la hauteur et la capacité des lampes présentent également une certaine régularité : les valeurs médianes pour les lampes basses se situent respectivement autour de 10 cm, de 5 cm et de 0,08 l ; celles des lampes intermédiaires sont d’environ 15 cm, 10 cm et 1,1 l ; celles des lampes à piédestal, enfin, s’élèvent à 20 cm, 40 cm et près de 3 l.

Au milieu du 15e siècle av. n. è., la fin des palais crétois7 s’accompagne de la diminution progressive des lampes de forme canonique en terre cuite – celles en pierre continuant d’être utilisées, parfois jusqu’à des époques très tardives8 – et le recours de plus en plus fréquent à des bols, des coupes et des coupelles pour s’éclairer, un phénomène particulièrement perceptible à La Canée Place Sainte-Catherine et à Kommos. Or, cette période est marquée par une influence mycénienne dans l’île, qui touche aussi bien à la culture matérielle qu’à l’adoption du linéaire B comme nouvelle écriture pour l’administration9. En l’absence d’études approfondies sur les lampes mycéniennes, on ne peut pas encore déterminer quelle influence a joué cette civilisation sur la transformation de la culture matérielle dédiée à l’éclairage. Mais, s’il est avéré, le recours à des lampes en forme de brasiers pour s’éclairer10, suggérerait une influence venue du continent où de telles sources de lumière ont été identifiées11. Du reste, la découverte à Phaistos d’une applique murale12, objet qui pourrait avoir servi à l’éclairage13, montre que des influences venaient aussi de Chypre et de la côte syro-levantine.

Typo-chronologie des lampes. Les types dont le contexte stratigraphique n'est pas connu n'ont pas été représentés
Figure 17. Typo-chronologie des lampes. Les types dont le contexte stratigraphique n'est pas connu n'ont pas été représentés
  1. [Evely 1988] Donald Evely, « The potter’s wheel in Minoan Crete », The Annual of the British School at Athens, 83, 1988, p. 83‑126 ; [Knappett 1999] Carl Knappett, « Tradition and innovation in pottery forming technology: wheel-throwing at Middle Minoan Knossos », The Annual of the British School at Athens, 94, 1999, p. 101‑129, en ligne, http://www.journals.cambridge.org/abstract_S0068245400000538, consulté le 12 janvier 2019 ; [Knappett, Van der Leeuw 2014] Carl Knappett, Sander Van der Leeuw, « A developmental approach to ancient innovation: The potter’s wheel in the Bronze Age east Mediterranean », Pragmatics & Cognition, 22.1, 2014, p. 64‑92, en ligne, http://www.jbe-platform.com/content/journals/10.1075/pc.22.1.04kna, consulté le 12 janvier 2019 ; [Berg 2015] Ina Berg, « Potting skills and learning networks in Bronze Age Crete », in Walter Gauss, Gudrun Klebinder-Gauss (éd.), The Transmission of Technical Knowledge in the Production of Ancient Mediterranean Pottery. Proceedings of the International Conference at the Austrian Archaeological Institute at Athens 23rd– 25th November 2012, Vienne, Österreichisches Archäologisches Institut, 2015, p. 17‑34 

  2. [Procopiou, Morero 2014] Haris Procopiou, Elise Morero, « Rotary devices during the Bronze Age in the Aegean World: Potter’s wheels and stone drilling devices », in Proceedings of the International Conference on Prehistoric Rotary Technology and Related Issues at Hac Sa, Macau, Min zheng zong shu wen hua kang ti bu, 2014, p. 440‑460 ; [Morero 2016] Élise Morero, Méthodes d’analyse des techniques lapidaires: les vases de pierre en Crète à l’âge du bronze, IIIe-IIe millénaire av. J.-C., Paris, France, Publications de la Sorbonne, 2016 

  3. Voir par exemple la céramique d’Akrotiri, Thera ([Nikolakopoulou 2018] Irene Nikolakopoulou, Akrotiri, Thera: Middle Bronze Age pottery and stratigraphy, Athens, Grèce, The Archaeological Society at Athens, 2018

  4. comm. pers. G. Cadogan 

  5. [MacGillivray 1998] Joseph Alexander MacGillivray, Knossos: pottery groups of the Old Palace period, London, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, British School at Athens, 1998 

  6. [Roux, Courty 1998] Valentine Roux, Marie-Agnès Courty, « Identification of wheel-fashioning methods: Technological Analysis of 4th–3rd millennium BC oriental ceramics », Journal of Archaeological Science, 25.8, 1998, p. 747‑763, en ligne, https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0305440397902193, consulté le 17 mai 2019 parlent d’élaboration au tour. Seule une étude technologique approfondie permettrait de déterminer à quelle étape de la chaîne opératoire intervient l’énergie cinétique rotative, à savoir lors de la formation des colombins, du montage des colombins, de l’amincissement de la paroi ou la mise en forme finale. 

  7. Hormis Cnossos, occupé jusque v. 1350. 

  8. Cf. un exemplaire trouvé à Kommos sur le sol d’un temple romain ([Shaw, Shaw (éd.) 2012] Maria C. Shaw, Joseph W. Shaw (éd.), House X at Kommos: a Minoan mansion near the sea. Part 1, Architecture, stratigraphy, and selected finds, Philadelphia (Pa.), Etats-Unis d’Amérique, INSTAP Academic Press, 2012, pp. 278, n°42, pl. 4.23, 4.33) 

  9. [Kanta 1980] Athanassia Kanta, The late Minoan III period in Crete: a survey of sites, pottery and their distribution, Göteborg, Suède, Paul Aströms Förlag, 1980; [Driessen, Farnoux (éd.) 1997] Jan Driessen, Alexandre Farnoux (éd.), La Crète mycénienne: actes de la table ronde internationale, 26-28 mars 1991, Athènes, Grèce, École française d’Athènes, 1997 ; [Langohr 2009] Charlotte Langohr, Περιφέρεια: étude régionale de la Crète aux Minoen Récent II-IIIB, 1450-1200 av. J.-C., Louvain-la-Neuve, Belgique, Presses universitaires de Louvain, 2009 

  10. [Hallager 2011] Birgitta Hallager, « Some light on LMIII hand lamps », in Maria Andreadaki-Vlazaki, Eleni Papadopoulou, Michalis Andrianakis, Eratothenis Kapsomenos (éd.), Πεπραγμένα Ι’ Διεθνούς Κρητολογικού συνεδρίου, Χανιά, 1-8 Οκτωβρίου 2006., La Canée, Philologikós Sýllogos “O Chrysóstomos”, 2011, p. 71‑80 

  11. [Blegen 1928] Carl William Blegen, Zygouries: a prehistoric settlement in the valley of Cleonae, American school of classical studies at Athens (éd.), Cambridge, Massachusetts, Etats-Unis d’Amérique, Harvard University Press, 1928, 1928 

  12. [Girella 2010] Luca Girella, « A wall-bracket from Phaistos », Creta Antica, 11, 2010, p. 159‑172 

  13. [Cline 1999] Eric Cline, « Coals to Newcastle, wallbrackets to Tiryns: Irrationality, gift exchange and distance value », in Philip P. Betancourt, Vassos Karageorghis, Robert Laffineur, Wolf-Dietrich Niemeier (éd.), Meletemata : studies in Aegean archaeology presented to Malcolm H. Wiener as he enters his 65th year, Liège, Université de Liège Histoire de l’art et archéologie de la Grèce antique, 1999, p. 119‑123 ; [Maran 2004] Joseph Maran, « The Spreading of Objects and Ideas in the Late Bronze Age Eastern Mediterranean: Two Case Examples from the Argolid of the 13th and 12th Centuries B.C »., Bulletin of the American Schools of Oriental Research, 336, 2004, p. 11‑30, en ligne, https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.2307/4150085, consulté le 19 décembre 2022 ; [Panitz-Cohen 2006] Nava Panitz-Cohen, « “Off the Wall”: Wall Brackets and Cypriots in Iron Age I Israel », in Aren M. Maeir, Pierre de Miroschedji (éd.), “I will speak the riddles of ancient times”: archaeological and historical studies in honor of Amihai Mazar on the occasion of his sixtieth birthday, Winona Lake (Ind.), Etats-Unis d’Amérique, Eisenbrauns, 2006, p. 613‑636 ; [Rahmstorf 2014] Lorenz Rahmstorf, « A ‘wall-bracket’ from Kandia in the Argolid: notes on the local character and function of an ‘east Mediterranean’ artefact of the Late Bronze Age/ Early Iron Age », in Yannis Galanakis, Toby Wilkinson, John Bennet (éd.), Αθυρμάτα: critical essays on the archaeology of the eastern Mediterranean in honour of E. Susan Sherratt, Oxford, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Archaeopress Archaeology, 2014, p. 187‑195