Introduction

Cela fait longtemps que les lampes minoennes sont considérées comme des marqueurs chronologiques et culturels, contribuant à dater les occupations et à mettre en évidence des régionalismes1. En ce qui concerne les exemplaires en terre cuite, plusieurs sites se sont dotés de leur propre typologie. Les deux plus importantes à ce jour, parce que fondées sur des assemblages complets, sont celles de Phaistos2 et du Quartier Mu de Malia3. La première couvre la période allant du MM IB4 au MM IIIA tandis que la seconde porte sur le MM II. D’autres systèmes classificatoires, centrés sur des phases et des contextes bien spécifiques, ont contribué à affiner notre connaissance de l’évolution des caractéristiques morphométriques des lampes : ce sont, pour Cnossos, celui du MM IIB5 et pour Mochlos celui du MR IA-B6. Ce dernier est d’ailleurs le premier à faire la part belle à un type de lampes jusqu’alors insoupçonné – alors qu’il est en fait primordial : de simples coupelles coniques que la présence de dépôts de suie sur leur bord, couplée à des analyses de résidus organiques, a permis d’identifier comme luminaires. Il bénéficie notamment du travail de Carole Gillis qui, quelques années plus tôt, fut la première à signaler la fréquence de telles traces de combustion sur ce matériel7. On a vu plus récemment émerger un intérêt pour ces objets dépourvus de bec et d’anse, comme à Kommos8, où les coupelles coniques utilisées comme lampes apparaissent particulièrement nombreuses, ce qui semble aussi être le cas de plusieurs kylikes, coupes et bols à piédestal, entre le MR I et le MR IIIB. Pour l’époque postpalatiale, l’étude la plus complète est celle conduite par Birgitta Hallager à La Canée9. Ce travail suggère l’émergence de nouvelles formes de lampes au MR II-III, formes habituellement considérées comme des brasiers ; mais il conteste aussi l’idée selon laquelle les lampes de forme canonique – celles à bec(s) et élément(s) de préhension – cesseraient d’être produites après le MR IB. Enfin, en ce qui concerne la pierre, le travail de référence reste celui de Peter Warren10. Fondée sur l’analyse de quelques trois cents exemplaires, cette étude met en évidence la fréquence des lampes basses à l’époque protopalatiale et celle des lampes de forme intermédiaire et à piédestal du MM III au MR IIIA. Elle souligne, en outre, la présence d’exemplaires minoisants jusque sur le continent et dans les Cyclades, en particulier à l’Helladique Récent I / Cycladique Récent I11.

Pourquoi une nouvelle typologie des lampes minoennes ? Parce que pris individuellement, ces différents systèmes classificatoires ne permettent pas une approche comparative et régionale de la production et de la diffusion des lampes dans la culture matérielle minoenne au IIe millénaire. Dernièrement, une étude a cherché à synthétiser les différentes typologies existantes12. Ce travail de doctorat s’est révélé utile à notre recherche et a sans doute été plus loin dans la quête de parallèles morphologiques ; on verra qu’il est régulièrement cité. Mais il est presque exclusivement fondé sur une analyse bibliographique, à l’exception du matériel du Palais de Kato Zakros qui a pu être examiné directement. Or cette perspective bibliographique limite l’identification de nouveaux types : en témoigne notamment l’absence de prise en compte des fameux bols, coupes et coupelles fréquemment utilisés comme lampes, et qui ne peuvent être identifiés que par l’observation directe du matériel archéologique. En outre – et c’est valable pour la plupart des typologies locales de lampes – les techniques de fabrication et de finition sont généralement reléguées au second plan alors qu’elles sont décisives dans le fonctionnement de ces objets : la lumière, par exemple, est directement impactée par la couleur et la brillance des états de surface tandis que la durée de combustion est liée au traitement de ces surfaces (Cf. Rueff, BEFAR).

Il aurait été illusoire de prétendre à une étude exhaustive : même en ne tenant compte que du matériel publié, les occurrences de lampes s’élèvent, dans chaque site, à près d’une centaine d’exemplaires, ce qui permet d’estimer à plusieurs milliers le nombre total de ces objets. Il a donc fallu échantillonner. La sélection du matériel a été guidée par plusieurs paramètres : d’une part, la longue séquence d’occupation des sites (fig. 1)13, favorisant ainsi une analyse diachronique de la production ; d’autre part la variabilité des formes au sein des assemblages étudiés, garantissant une certaine représentativité morphologique ; enfin, l’emplacement des sites, en Crète orientale, occidentale et méridionale, susceptible de mettre en évidence des régionalismes. Au total, l’étude porte sur quelques 446 lampes, 111 cônes et 89 lampes d’identification incertaine.

Localisation des sites et tableau chronologique de la Crète minoenne
Figure 1. Localisation des sites et tableau chronologique de la Crète minoenne
  1. [Evershed et al. 1988] Richard P. Evershed, Sarah J. Vaughan, Stephanie N. Dudd, Jeffrey S. Soles, « Fuel for Thought? Beeswax in Lamps and Conical Cups from Late Minoan Crete », Antiquity, 71.274, 1988, p. 83‑126

  2. [Mercando 1978] Liliana Mercando, « Lampade, Lucerne, Braccieri Di Festos », Annu. Della Scuola Archeol. Atene E Delle Missioni Ital. Oriente, Nuova serie XXXVI-XXXVII (1975-1975).52-53, 1978, p. 15‑167, consulté le 20 février 2024; voir aussi les compléments apportés par [Speziale 1993] Aurelia Speziale, « Considerazioni Sulle Lucerne Medio Minoiche Da Fèstos », Sileno, 19, 1993, p. 539‑549

  3. [Poursat 1993] Jean-Claude Poursat, « Notes de Céramique Maliote. À Propos de ‹ La Céramique de Chrysolakkos › » Bulletin de Correspondance Hellénique, 117.2, 1993, p. 603‑607

  4. Toutes les abréviations sont données dans la figure 1 

  5. [MacGillivray 1998] Joseph Alexander MacGillivray, Knossos: pottery groups of the Old Palace period, London, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, British School at Athens, 1998 

  6. [Evershed et al. 1997] Richard P. Evershed, Sarah J. Vaughan, Stephanie N. Dudd, Jeffrey S. Soles, « Fuel for Thought? Beeswax in Lamps and Conical Cups from Late Minoan Crete », Antiquity, 71.274, 1997, p. 979‑985 

  7. [Gillis 1990] Carole Gillis, Minoan conical cups: form, function and significance, Göteborg, Suède, P. Åström, 1990 

  8. [Rutter 2013] Jeremy Rutter, « What happened to the lights ? Changes in the usage of ceramic lamps at Neopalatial and Early Postpalatial Kommos », in Giampaolo Graziado, Riccardo Guglielmino, Valeria Lenuzza (éd.), Φιλική Συναυλία. Studies in Mediterranean Archaeology for Mario Benzi, Oxford, Archaeopress, 2013, p. 31‑38 

  9. [Hallager, Hallager 2011] Erik Hallager, Birgitta Hallager, The Greek-Swedish excavations at the Agia Aikaterini square, Kastelli, Khania, 1970-1987 and 2001: results of the excavations under the direction of Yannis Tzedakis and Carl-Gustaf Styrenius, IV:2, Giannis Tzedakis, Carl-Gustaf Styrenius (éd.), Stockholm, Suède, Svenska Institutet i Athen, 2011 

  10. [Warren 1969] Peter Warren, Minoan stone vases, Cambridge, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Cambridge University press, 1969 

  11. [Warren 1967] Peter Warren, « Minoan Stone Vases as Evidence for Minoan Foreign Connexions in the Aegean Late Bronze Age », Proceedings of the Prehistoric Society, 33, 1967, p. 37‑56 ; [Warren 1969] Peter Warren, Minoan stone vases, Cambridge, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Cambridge University press, 1969. Rien ne permet, en revanche, de savoir s’il s’agit d’imitations locales, de l’œuvre d’artisans itinérants ou encore d’importations ; seule une analyse pétrographique et technologique approfondie de ce mobilier permettrait d’examiner cela. 

  12. [Kolipetsa 2015] Kristina Kolipetsa, Oi lichnoi tis Minoikis Kritis, Athènes, Université nationale kapodistrienne d’Athènes, 2015, en ligne, https://thesis.ekt.gr/thesisBookReader/id/37413#page/1216/mode/2up 

  13. Malia (Chrysolakkos, Quartier Mu, Secteur Pi), Palaikastro Roussolakkos, Kommos, La Canée Place Sainte-Catherine